Sous un soleil réjouissant pour ce début d’hiver hâtif, la Fiducie d’utilité sociale agroécologique (FUSA) du 9e rang de Coaticook a officialisé, le 20 novembre 2025, un partenariat avec Nature Québec et Nature Cantons-de-l’Est.

(Voir plus bas pour une explication sur la FUSA)

Pour l’occasion, la fiducie a accueilli dès 13 h les organisations participantes ainsi que des personnes curieuses de visiter les lieux et d’assister à l’annonce officielle du partenariat. Les participants étaient ensuite conviés à 15 h à la Microbrasserie Hop Station pour poursuivre les échanges et assister à une présentation explicative et visuelle.

Cet accord de partenariat vise à renforcer la protection de zones de conservation sur son territoire. Grâce à cette collaboration, la FUSA du 9e rang recevra un mandat clair pour répondre aux normes environnementales en vigueur. Mme Cynthia Corbeille, fiducière de la fiducie du 9ième rang et directrice générale de la Chambre de commerce et d’industrie de la MRC de Coaticook, explique l’annonce de la journée:

Bien que la coopérative présentement locataire des terres respecte déjà les standards écologiques, son intégration à ce partenariat, par le biais de la terre dont elle est locatrice, assure un encadrement durable, garantissant à perpétuité une gestion saine et responsable de la terre. En d’autres mots, la protection environnementale du territoire et sa conservation seront donc mieux encadrées, ajoute Mme Corbeille.

Mme Corbeille se réjouit de ce projet, qui rassemble plusieurs missions en une — une grande fierté pour elle.

Qu’est-ce que la FUSA du 9e rang?

Les Fiducies d’utilité sociale agroécologique est un outil juridique qui sert à retirer une terre agricole du marché spéculatif pour toujours. Elle permet ensuite à des producteurs d’y avoir accès à un coût inférieur à celui du marché, grâce à un bail ou une entente d’occupation. En échange, les activités agricoles doivent respecter une mission sociale, environnementale ou agroécologique définie dans l’acte de fiducie.

Les FUSAs demeurent encore méconnues au Québec, rappelle Mme Corbeille. On en compte une dizaine dans la province, incluant celle de Coaticook. Cliquez ici pour voir l’ensemble des FUSAs.

La FUSA de Coaticook loue actuellement ses terres à une entreprise sélectionnée par le biais de baux d’un an. Elle travaille à modifier ce modèle de location pour adopter un bail emphytéotique, c’est-à-dire un contrat de 100 ans. Comme il s’agirait d’une première pour la fiducie, elle souhaite prendre le temps nécessaire pour s’assurer que le contrat soit préparé avec soin et correctement établi, précise Mme Corbeille.

Le prix de la location n’a pas encore été fixé ; plusieurs calculs influenceront leur décision.

La FUSA de Coaticook existe grâce à un homme avant-gardiste, John Burcombe, qui avait pressenti l’importance de protéger les zones agricoles et de faciliter l’accès à la terre pour la relève sans liens familiaux en agriculture. Dans ses volontés testamentaires, il a légué à la collectivité 36 hectares (88,95 acres) de terres. Grand défenseur de l’environnement, M. Burcombe a rédigé et présenté 27 mémoires au BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement). À son décès, à 80 ans, il a d’ailleurs reçu un hommage du BAPE pour son rôle de « grand environnementaliste ».

Même si le projet de FUSA enthousiasme les participants, Mme Corbeille précise qu’il n’existe actuellement aucun autre projet de FUSA en cours dans la MRC de Coaticook.

Mme Corbeille explique que les projets de FUSA sont encore peu connus et que la coopérative a été sélectionnée sans trop de compétition. C’est la coopérative La Belle Bêche qui s’est portée volontaire pour occuper les lieux. La Belle Bêche avait déjà travaillé sur un projet pour ARTERRE, et c’est ainsi qu’elle a découvert le projet de FUSA sur le 9e rang.

Qui est La Belle Bêche?

La Belle Bêche est la coopérative qui loue actuellement les terres de la FUSA du 9e rang. Formée de cinq amis (dont Alexandre et sa partenaire Sandrine, Bob et Julien) rencontrés au fil des ans — de l’école secondaire jusqu’aux vergers de l’Ouest canadien — la jeune équipe s’est construite autour d’un rêve commun : cultiver la terre de manière durable.

C’est en quelque sorte Alexandre qui a lancé son rêve dans l’univers le premier, amorçant ainsi le souhait de fonder un projet singulier. Pendant une dizaine d’années, Bob et Alexandre ont travaillé dans la vallée de l’Okanagan, en Colombie-Britannique, pour la cueillette de cerises. Ils y ont tissé une solide amitié, rythmée par des journées débutant parfois dès 3 h du matin. Après ces saisons intenses, ils revenaient au Québec à temps pour participer au taillage des pommiers à l’automne. Un jour, ils souhaitaient pouvoir travailler pour eux-mêmes et faire grandir leur propre projet agricole, plutôt que de travailler pour quelqu’un d’autre, explique Alexandre, membre de la coopérative La Belle Bêche.

Peu à peu, l’idée de leur coopérative s’est construite, et elle est aujourd’hui bien ancrée sur le territoire du 9e rang.

Ayant participé à des projets avec ARTERRE, ils ont été probabalement très peu nombreux voire la seule équipe à proposer un projet pour s’occuper de la terre de la FUSA du 9ième rang. Mme Sandrine D’Aoust Archambault, membre de la coopérative La Belle Bêche et du conseil d’administration de la fiducie, dit avoir cherché ce type de projet comme «la perle rare», alors que d’autres entreprises étaient intéressées mais hésitantes à s’engager dans ce nouveau modèle.

Mme D’Aoust Archambault explique les défis d’initier un projet encore méconnu, celui de la FUSA :

Pour l’instant, chaque membre de la coopérative doit travailler à temps plein à l’extérieur de ce projet, certains dans de grands vergers de la Montérégie, raconte Alexandre, ce qui implique souvent des « doubles journées ». Alexandre et Bob ajoutent qu’après avoir passé plusieurs étés à travailler dans la saison des cerises en Colombie-Britannique, ils sont prêts à faire de longues heures, d’autant plus que ce projet les inspire profondément.

Pour Sandrine, qui a une carrière d’artiste, l’objectif est de poursuivre son travail sur les champs à temps partiel, contrairement aux autres membres qui souhaitent un engagement à temps plein.

Quel est leur projet ?

Actuellement, la coopérative cultive deux parcelles de terrain, chacune abritant 1 500 arbres, auxquels s’ajoutent 1 500 arbres en pépinière, car la coopérative greffe elle-même ses arbres. Les jeunes arbres restent deux ans en pépinière avant d’être transférés sur une parcelle qui fera partie du verger. Comme l’entreprise plante des pommiers nains, la production de fruits devrait commencer après cinq ans, ce qui signifie que la première récolte est attendue dans environ deux ans.

Le projet complet inclut le désir de créer une cidrerie combinant pommes et poires bio et véganes, une première au Québec. Est-ce qu’un partenariat avec la Microbrasserie Hop Station pour la production de cidre pourrait être envisagé? Alexandre précise :

« On souhaite construire un bâtiment pour produire le cidre sur place et, si la réglementation le permet, accueillir des visiteurs dans le cadre d’un projet agrotouristique. », explique Alexandre.

Même s’il existe quelques modèles de vergers bio-véganes aux États-Unis, cette formule reste rare, notamment à cause des critères stricts de certification qui compliquent le travail des agriculteurs. Néanmoins, la transformation du fruit en cidre bio-végane est plus simple que la vente directe, car les petites imperfections visuelles des fruits disparaissent dans le processus, explique Sandrine.

Pourquoi dit-on « végane » ?
Tout simplement parce que le processus exclut toute intervention utilisant des animaux ou des produits animaux, comme le fumier. Le compost doit être entièrement végétal.

Comment déterminer les meilleures pratiques pour cultiver leurs fruits ?
La coopérative s’est inspirée d’un livre sur les pratiques d’un grand agriculteur bio-végane aux États-Unis, de producteurs américains cultivant une grande variété de pommiers, de l’expertise d’Alexandre (qui détient une maîtrise en agroforesterie) et des expériences diverses des membres dans d’autres vergers. Les explications de Sandrine sont complétées par Alexandre, qui précise son approche en agroforesterie.

Un modèle différent de rentabilité
Le modèle de la fiducie diffère de celui des agriculteurs propriétaires de leur terre. Ici, la coopérative ne pourra jamais vendre la terre, contrairement à ce que font beaucoup d’agriculteurs en pensant à la retraite. L’investissement initial est moindre, mais les investissements réalisés sur la terre au fil des ans ne leur reviendront pas directement, seule la production de leur travail leur profitera. Pour l’installation d’un bâtiment comme une cidrerie, il faudrait étudier comment la vente d’infrastructures pourrait être envisagée. Mme D’Aoust Archambault voit cette formule comme un type de travail autonome.

Un volet social fort
Comme le nom « Fiducie d’utilité sociale agroécologique » l’indique, le volet social du projet demande à la coopérative de contribuer à des missions enrichissant la communauté. Cela pourrait inclure l’accueil de groupes scolaires ou de cohortes pour des visites éducatives, ainsi que la tenue d’ateliers ou de cours ponctuels. La vue depuis les champs du site est panoramique, et la coopérative souhaite en faire profiter la communauté.

En somme, Sur un autre ton

Ce qui se dégage de ce groupe d’amis est un mélange de quiétude et d’excitation : l’enthousiasme de voir naître un projet qui leur appartient, et la sérénité de pratiquer une agriculture fidèle à leurs valeurs écologiques, dans un rythme qui leur ressemble.

En bordure de la route du 9e rang, là où la vue s’ouvre vers le sud et dévoile un panorama de vallons, de collines lointaines et de forêts qui enlacent quelques champs, se trouve cette terre porteuse d’espoir. Il suffit de quelques pas sur le sol enneigé pour ressentir la chance que perçoit ce jeune groupe d’agriculteurs. Les vestiges de M. Burcombe, regroupés dans un petit périmètre, subsistent encore. Une simple cabane, qui lui servait autrefois d’abri pour dormir sur place, demeure. Le tracteur et quelques outils du vieil homme traversent parfois le quotidien de cette nouvelle génération, qui ne peut connaître cet ancêtre que par ce qu’il leur a laissé.

Trois autres membres de La Belle Bêche sont ces deux chiens dorés et ce chien noir, qui offrent leur amour sans réserve, à la terre comme à tous ceux qui s’y aventurent. Le jeune groupe d’agriculteurs les a désignés comme témoins et complices de la joie de l’agriculture. Entre deux questions d’entrevue et durant les pauses de la visite, ils se faisaient un plaisir d’aller recueillir des “flatouilles” auprès de ceux qui tendaient la main. Une main tendue — c’est peut-être cela, finalement, que M. Burcombe souhaitait offrir à la relève.